Les dix-huit années qui séparent Robert Lefèvre de son cadet Pierre-Narcisse Guérin ne les ont pas empêchés de nouer une amitié inaltérable dès leur rencontre dans l'atelier de Jean-Baptiste Regnault. A partir du Salon de 1791, Lefèvre se fait remarquer pour ses portraits mondains au faire léché et aux détails raffinés, qui le placent parmi les grands portraitistes de son temps. Son succès ne se tarit pas avec le temps : il devient sous l'Empire le peintre officiel de la famille impériale puis, à la Restauration, le premier peintre du roi Louis XVIII.
La carrière de Guérin est en plein essor lorsque Lefèvre envoie son portrait au Salon de 1801, à l'âge de 27 ans. Il a obtenu le Premier Prix de Rome en 1797 (il ne partira pour l'Italie qu'en 1803) et il enchaîne les succès, en 1799 avec le "Retour de Marcus Sextus" (Paris, musée du Louvre) puis l'année suivante avec la présentation au Louvre de son « envoi de Rome » réalisé à Paris, "Orphée pleurant la mort d'Eurydice" (Orléans, MBA). Le portrait est accueilli chaleureusement et la presse unanime salue tant la ressemblance que l'élégance austère du modèle, figure d'un peintre à la mode peint dans un camaïeu de gris du plus grand raffinement. Le "Mercure de France" y voit le meilleur ouvrage de Lefèvre, d'une élégance absolue qui lui vaut sans tarder le surnom de Van Dyck français."
Lefèvre a d'abord réalisé une étude de la tête de Guérin, conservée à l'ENSBA, traitant le visage de son ami de manière plus réaliste, sur un fond frotté qu'il remplace dans la composition définitive par un fond sombre sur lequel se détache la silhouette gracile du jeune peintre. L'effet d'ensemble repose sur la finesse du coloris, large et lumineux, qui focalise l'attention sur le visage mélancolique de Guérin, songeant pinceau à la main à son prochain tableau. Par cette attitude de trois-quarts, Lefèvre accroît la prestance de Guérin, "de petite taille et de consistance plus que délicate", pour en faire une figure de l'artiste moderne.
Leur amitié ne s'arrêtera pas là. Guérin resta très lié à Lefèvre qu'il épaulera à la fin de sa vie, jusqu'au suicide en 1830 du peintre que Guérin suivra de peu dans la tombe. Le tableau passa dans la collection de Cogniet, qui acquit de nombreuses œuvres à la vente du légataire de son maître Guérin.
Provenance
Salon de 1801.
Collection Michel Bourdon, légataire universel de Pierre Narcisse Guérin.
Achat à la vente Michel Bourdon par Léon Cogniet (1794-1880), 1841.
Legs de Catherine-Caroline Thévenin épouse Cogniet (1813-1892) et de Marie-Anne-Rosalie Thévenin (1819-1892) au musée des Beaux-Arts d'Orléans,1892.