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Réalisation : Ingres, Jean Auguste Dominique (Montauban, 29 août 1780 - Paris (75), 14 janvier 1867)

Jean Charles Auguste Simon dit Simon fils (1776-1843)

Réalisation : 1802 - 1803
Domaine : Dessin
Technique(s) : Papier vélin (rehauts de craie blanche, estompe, pierre noire)
Dimensions : H. 40,8 cm ; l. 35,9 cm
N°inventaire : DE.791
© Crédit(s) photo(s) : Lauginie, François

Cartel

Après un cursus de six années à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Toulouse, Ingres est arrivé à Paris en août 1797 afin de se préparer au concours du prix de Rome. Parallèlement à ses études dans l’atelier de David, il développe en autodidacte ses talents de dessinateur de portraits, une pratique susceptible de lui procurer des ressources en attendant de pouvoir vivre de sa peinture. Sa production de petits portraits au crayon en médaillon, genre auquel l’a initié son père dès son plus jeune âge, cesse avec la découverte des portraits dessinés en manière noire de Jean-Baptiste Isabey, objets d’un engouement extraordinaire au cours du Directoire. Leur imitation par le jeune Ingres est la première étape d’une expérimentation de la craie noire estompée dont l’ambition grandit à mesure que la maîtrise de ses moyens techniques augmente. Les portraits de Pierre Guillaume Cazeaux et d’Aglaé Adanson (collections particulières), datables vers 1802-1803 au plus tard, démontrent un usage particulièrement subtil de la manière d’Isabey dans la modulation des ombres, un raffinement poussé dans les détails des visages, chevelures et drapés, et saisissent par la vérité avec laquelle les figures sont modelées.

En même temps qu’il produit des dessins finis de dimensions réduites, Ingres s’exerce au portrait de grandeur naturelle au moyen de l’estompe, morceau de peau ou de papier roulé en cylindre et terminé en pointe permettant d’étaler la pierre noire réduite en poudre dans un geste s’apparentant à celui du peintre. Cinq grandes études de têtes parvenues jusqu’à nous témoignent ainsi d’une ambition qui est de l’ordre de la peinture, plus encore que du dessin. Sur de grandes feuilles traditionnellement employées pour dessiner le nu, Ingres modèle ses têtes au moyen d’un trait « gras et moelleux », exempt de « petits détails », selon les préceptes de David. Il en fait une application encore timide dans le portrait de Pierre Révoil (Bayonne, musée Bonnat-Helleu) qui inaugure cette série prépicturale, tout à la fin de 1797 ou au début de l’année suivante. Elle gagne en monumentalité dans les deux têtes de femme dites de la domestique des sœurs Harvey (Paris, musée du Louvre et Harvard, Fogg Art Museum), ébauchées avec facilité, tandis que la recherche du fini est poussée au plus haut degré dans la copie d’après La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci (Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts). Incorporant toutes les techniques mises en œuvre depuis ses débuts, le portrait de Simon fils de l’an XI est l’aboutissement ultime d’une quête de virtuosité préfigurant celle qu’il ne développera bientôt plus qu’au moyen du pinceau.

On doit à Hans Naef d’avoir identifié le modèle ainsi que son milieu familial. Jean Charles Auguste Simon appartient par sa mère à une famille d’artistes : sa grand-tante est l’épouse de Jean Valade (1709-1787), peintre du roi, tandis que son grand-père maternel, Jean-Michel Chevotet (1698-1772), est architecte du roi, de même que son oncle Jean-Baptiste Chaussard (1729-1818), qui a épousé l’une des filles Chevotet. Les portraits au pastel de ces membres par Jean-Baptiste Perronneau et Jean Valade sont parvenus au musée d’Orléans avec le portrait de Simon peint par Granger, ainsi que ses deux portraits dessinés par Ingres en l’an XI (1802-1803) et en 1806, grâce au legs de son petit neveu Hector Delzons en 1895. Les circonstances dans lesquelles le peintre et son modèle se sont rencontrés restent obscures. Naef avait d’abord proposé d’identifier ce dernier au marchand de papier Simon, qui occupait un atelier contigu à celui d’Ingres au couvent des Capucines dans les premières années du siècle, qui a encadré le portrait de 1806 et que l’on retrouve à plusieurs reprises dans la correspondance de l’artiste en 1806-1807, mais il n’est plus possible de confondre les deux hommes depuis que les archives ont livré le prénom de ce dernier, Pierre.

Les lectures divergentes de la date du premier portrait de Simon fils ont introduit la confusion dans la chronologie des premières œuvres de l’Ingres. Sur la foi d’une idée reçue selon laquelle le calendrier républicain n’aurait jamais utilisé les chiffres arabes, Hélène Toussaint a cru devoir lire la date dans le sens de l’an II (de septembre 1793 à septembre 1794) au lieu de l’an 11 (de septembre 1802 à septembre 1803), créditant ainsi l’artiste d’une maîtrise exceptionnelle, mais improbable, dès l’âge de treize ou quatorze ans. Or, une rapide étude statistique des journaux et manuscrits de l’époque révèle que l’usage des chiffres arabes était, sinon plus fréquent, du moins aussi courant que celui des chiffres romains. Au regard de la coiffure et du costume, la date proposée par l’historienne n’était guère plus vraisemblable, les longues mèches qui encadrent le visage de Simon, avatars des « oreilles de chien » des Incroyables pour reprendre le vocabulaire capillaire du temps, dérivant d’une mode apparue avec le Directoire qui s’est prolongée jusqu’à la fin du Consulat.

Interprétant la leçon de Léonard d’une manière différente de celle employée dans la copie de la Belle Ferronnière, le crayon modèle le visage par petites touches comme le ferait le pinceau d’un miniaturiste, créant des ombres veloutées sur un épiderme rendu presque palpable par l’échelle de l’image. Si la vive lumière qui baigne le visage limite les ombres, l’effet de présence du modèle n’en est pas moins fort, ménagé à la fois par l’ombre portée sur le mur qui le fait venir en avant et par l’immédiate proximité du buste cadré de près. Pour parvenir à ce haut degré de virtuosité, Ingres n’a pas combiné différentes techniques, mais utilisé une large gamme de craies de pierre noire, de la plus finement taillée, pour le visage, jusqu’au pigment réduit en poudre et lavé, pour le costume, la craie blanche appliquée parcimonieusement étant la seule technique alternative. L’utilisation très picturale de la craie visait à définir un effet visuel transposable sur la toile : celui du réalisme, généré par la proximité tactile du modèle, conjugué à l’idéalisation, obtenue en arrondissant modérément la tête par des ombres délicatement fondues. La réussite du portrait de Simon fils allait rendre caduque la pratique du portrait dessiné en grand et ouvrir la voie aux premiers portraits peints, au tournant de 1804.

Ramené dans des proportions plus réduites, le dessin n’en continua pas moins d’être l’objet d’une recherche formelle désormais autonome de la peinture. Le second portrait de Simon fils, exécuté en 1806 peu de temps avant le départ du peintre pour Rome, est un jalon crucial de cette réorientation. Le buste de profil à droite, la tête presque de face, le modèle fixe le spectateur en le gratifiant toujours de son sourire quasi jocondien. Prenant le contrepied de la picturalité naguère élaborée à la pierre noire, Ingres a adopté le graphite, médium d’un gris moyen plus métallique et permettant une exécution en petit d’une grande finesse, en reproduisant notamment le modelé en hachures du portrait de l’an XI, mais à l’échelle d’une miniature. La séduction de l’image résulte de l’exploitation de la réserve du papier, qui agit comme si l’œuvre était surexposée, combinée à la transparence des ombres obtenues grâce à une mine de graphite-antimoine, dont les propriétés hyper réfléchissantes ne se révèlent véritablement qu’à la loupe – l’artiste, qu’on imagine avoir possédé une loupe oculaire depuis qu’il avait pratiqué le portrait en miniature dans sa jeunesse, ne pouvait pas être insensible à la préciosité de ce médium invisible à l’œil nu. La formule ainsi mise au point fixait le prototype du « portrait crayon » dont Ingres allait rapidement développer la production lors de son arrivée à Rome, en supprimant le trait carré qui enfermait encore Simon.

 

Provenance

Paris, collection de Jean Charles Auguste Simon (1776-1843).
Par descendance du précédent à sa soeur Louise Adélaïde Ansillion, née Simon (1773-1849).
Fontainebleau, collection Louise Adélaïde Ansillion, née Simon (1773-1849).
Par descendance de la précédente à sa fille Adélaïde Delzons, née Ansillion (1796-1880).
Fontainebleau, collection Adélaïde Delzons, née Ansillion (1796-1880).
Par descendance de la précédente à son fils Marie Jacques Hector Delzons (1821-1895) juge de paix à Orléans.
Orléans, collection Marie Jacques Hector Delzons (1821-1895).
Legs de Marie Jacques Hector Delzons, juge de paix (1821-1895) au Musée des Beaux-Arts d'Orléans, 1895.

École

France

Localisation

Musée des Beaux-Arts

Réserve

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