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Réalisation : Vincent, François-André (Paris (75), 1746 - Paris (75), 1816)

Étude de deux femmes nues, de profil à droite, pour Arria et Poétus

Réalisation : Vers 1784
Domaine : Dessin
Technique(s) : Papier vergé, carton (plume, encre brune, sanguine)
Dimensions : H. 48,1 cm ; l. 42,1 cm
N°inventaire : DE.1141.2
© Crédit(s) photo(s) : Lombard, Mathieu

Cartel

En 1785 la peinture française entre dans une phase « sévère » qui se traduisant autant par l’austérité du style que par la noirceur des thèmes. La vogue en avait été initiée au Salon de 1783 par David avec La Douleur d’Andromaque (Paris, musée du Louvre) et les sujets traités par ses principaux concurrents au Salon suivant semblaient vouloir le surpasser dans le pathos. Peyron et Vincent se disputèrent la première place dans ce registre en exposant chacun le suicide d’une héroïne stoïque, celui d’Alceste pour le premier (Alceste se donnant la mort pour sauver les jours d’Admète, son époux, Paris, musée du Louvre) et celui d’Arria dans le cas du second, décliné en deux versions différentes, l’une horizontale dans les proportions d’un tableau de cabinet (Saint Louis [Missouri], Saint Louis Art Museum), l’autre, une commande royale, développée en hauteur et de grande dimension.

Les derniers moments du sénateur romain Pœtus et de son épouse Arria, en l’an 42 de notre ère, ont été relatés par Pline le Jeune dans ses Lettres. Impliqué dans une conspiration ourdie par Scribon contre l’empereur Claude, Caecina Pœtus (ou Paetus) fut arrêté en Dalmatie et conduit à Rome pour y être condamné à mort. Désespérant de la clémence de l’empereur et refusant de voir son mari conduit au supplice, Arria l’exhorta à se donner la mort. Le voyant indécis, elle s’enfonça un poignard dans la poitrine et, le lui présentant, prononça les mots que l’histoire a retenus et que le peintre a traduits en image : « Poete, non dolet » (« Pœtus, ça n’est point douloureux »).

La profondeur des ténèbres carcérales dans lesquelles Vincent a inscrit sa scène visait à en augmenter l’intensité dramatique, mais en regard de la clarté expressive du Serment des Horaces (Paris, musée du Louvre) exposé par David dans le même Salon, la vogue des tons noirs apparaissait désormais comme une fausse piste sur laquelle s’étaient égarés ses rivaux. Jusqu’alors la réputation de Vincent avait été celle d’un artiste « doué d’un tact délicat, d’une sensibilité exquise » : « il s’est approprié les manières des plus grands maîtres, il les a suivis sans en être l’esclave, ne paraissant même en les imitant qu’obéir à l’impulsion de son génie» (Discours sur l’origine des progrès et l’état actuel de la peinture en France contenant des notices sur les principaux artistes de l’Académie pour servir d’introduction au Sallon, Paris, 1785). Si l’auteur de Figaro au Sallon s’avouait séduit par la palette sombre d’Arria et Pœtus  – « il y a un sombre dans ce tableau qui attache» –, bien peu de critiques cependant lui pardonnaient d’avoir abandonné sa palette brillante pour un « coloris noir et lourd.», et d’avoir renié sa virtuosité d’exécution pour un faire rigide. Les expressions des personnages en revanche ont donné lieu à des jugements contradictoires. Gorsas regretta que l’artiste « ait manqué aussi essentiellement le but principal de son tableau, et n’ait pas senti qu’il devait faire contraster la fermeté d’Arie disant le Poete non dolet, avec la faiblesse que doit éprouver une femme qui porte la mort dans son sein ». Carmontelle, invoquant au contraire l’expression sublime de la Niobé antique, considéra que « la faiblesse de la nature et la fermeté du courage ne se combattent pas sur sa physionomie ; elles s’y confondent par un doux accord ; il faut, ou ne plus vanter la tête de Médicis, ou admirer beaucoup celle-ci ».

C’est au grand tableau exécuté pour le roi, présenté au salon de 1785 et aujourd'hui conservé à Amiens que se rapportent les deux études de nus du musée d’Orléans. Mais, en dépit de leur mise au carreau, les figures ne se retrouvent pas à l’identique dans la composition finale, elles s’inscrivent dans le prolongement de la version intermédiaire du dessin de la collection Horvitz, dont elles analysent les postures : Arria dirige encore contre elle la lame du poignard dont elle présente le manche à Pœtus ; celui-ci est encore figuré de strict profil, tandis que le peintre fera pivoter son buste de trois-quarts de côté du spectateur afin de mieux l’exposer à la lame qui le transpercera. À la plastique ronde et solidement charpentée du groupe féminin s’oppose la description anatomique très poussée du héros, traitée presque à la manière d’un écorché. Si Vincent avait coutume de dessiner ses figures nues avant de les peindre afin de les draper avec vérité, l’académie de Pœtus présente un excès de détails musculaires que ne justifiait pas ce travail préparatoire et qui trahit le goût de l’artiste pour la pratique du dessin. La netteté du contour et le volume sculptural des corps, rendu par des ombres vigoureusement hachurées, traduisent par ailleurs une volonté de stylisation que l’artiste a rarement poussée aussi loin. À l’évidence, l’étude de la statuaire antique pénétrait de plus en plus sa pratique artistique, le conduisant à simplifier ses formes au point de les réduire à une géométrie quasi « picassienne » (Cuzin).  Comme l’a souligné Jean-Pierre Cuzin, « chez Vincent il arrive que le tableau ne tienne pas ce que les dessins préparatoires promettaient de tension et d’énergie ». Les deux études d’Arria et Pœtus  démontrent en effet mieux que la peinture où se situe la modernité de l’artiste. S’il n’a pu soutenir la comparaison avec l’auteur des Horaces au Salon de 1785, ce dernier s’est rarement montré aussi souverain que Vincent dans le domaine du dessin.

Provenance

Paris, collection Léon Cogniet (1794-1880).
Legs de Catherine-Caroline Thévenin épouse Cogniet (1813-1892) et de Marie-Anne-Rosalie Thévenin (1819-1892) au musée des Beaux-Arts d'Orléans,1892.

École

France

Localisation

Musée des Beaux-Arts

Réserve

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